(dernière mise à jour : août 2023)





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Champs de Beltrami

$$ \def\div{{\rm div}\,} \def\rot{{\bf rot}\,} \def\B{{\bf B}\,} \def\j{{\bf j}\,} \def\b{{\bf b}\,} \def\x{{\bf x}\,} \def\s{{\bf s}\,} \def\X{{\bf X}\,} \def\e{{\bf e}\,} \def\v{{\bf v}\,} \def\zero{{\bf 0}\,} \def\n{{\bf n}\,} \def\C{{\mathbb{C}}} \def\N{{\mathbb{N}}} \def\R{\mathbb{R}} \def\om{\Omega} \def\dps{\displaystyle} $$

Introduction

Soit $\Omega$ un région géométriquement (ou plus exactement un ouvert) de $\R^3$ et $\B$ un champs de vecteurs défini sur $\Omega$. Ce champ est dit de Beltrami (ou force-free) s'il satisfait les deux équations $$ \rot \B\times\B= \zero\mbox{ dans } \Omega, \; \; \; \; (1) $$ et $$ \; \; \div \B =0 \mbox{ dans } \Omega. \; \; \; \; \; \; \; \; \; \; (2) $$
Ces équations, en apparence simples, cachent une complexité fascinante !!

Les champs Beltrami de apparaissent dans de nombreuses applications, notamment en physique et en astrophysique.

Par exemple, ils forment une famille de solutions à l'équation d'Euler stationnaire:
$$ \v.\nabla \v + \nabla p = \zero, \; \div \v = 0. $$ (il suffit en effet d'observer la relation $\v.\nabla \v = \rot \v \times \v + \nabla |\v|^2/2$.)

D'un point de vue mathématique, observons que le système d'équations aux dérivées partielles (1)-(2) est non linéaire. Néanmoins, la première équation signifie que le rotationnel de $\B$ est partout (ou presque partout) colinéaire à $\B$. Elle est souvent remplacée par la condition suivante: il existe une fonction scalaire $\lambda$ de $\Omega$ dans $\R$ telle que $$ \rot \B = \lambda(\x)\, \B \mbox{ dans } \Omega. \; \; \; \; \; \; \; \; \; \; (3) $$ En général, la fonction $\lambda$ est elle même une inconnue du système qui conserve ainsi son caractère non linéaire.

La formulation a l'avantage de pouvoir distinguer deux familles de champs de Beltrami
  • Les champs de Beltrami dits linéaires caractérisés par une fonction $\lambda$ constante,
  • Les champs de Beltrami dits lnon linéaires pour lesquels la fonction $\lambda$ est variable.
Le champs de Beltrami suscitent de nombreuses questions. L'une de ces questions est l'existence et l'unicité de solutions au système (1)-(2) ou (3)-(2) complété avec des conditions aux limites adéquates. Une autre question qui intéresse non seulement les mathématiciens, mais aussi et surtout les physiciens, est celle de leur calcul numérique (à partir de données mesurées ou données sur le bord). D'autres questions portent sur leurs propriétés mathématiques (comme par exemple la topologie des lignes de champs, etc).

Exemples analytiques de champs de Beltrami

Les exemples analytiques de champs de Beltrami ne sont pas très nombreux. L'exemple le plus simple est celui d'un champ dérivant d'un potentiel harmonique. En effet, si $$\B = \nabla \phi$$ avec $\phi$ une fonction vérifiant $\Delta \phi = 0$, alors $\rot \B = \zero$ et $\div \B=0$. Un tel champ est de Beltrami avec $\lambda =0$ (on dit qu'il s'agit d'un champ potentiel).

Donnons maintenant d'autres exemples moins triviaux de champs de Beltrami linéaires et non linéaires:

Exemple 1 (champs linéaires):champs ABC (V. Arnold-Beltrami-Childress)
Il s'agit d'un exemple classique connu dans l'étude des phénomènes de chaos tridimensionnel et en turbulence: $$ \begin{array}{rcl} B_1(x, y, z) &=& A \sin z + C \cos y,\\ B_2(x, y, z) &=& B \sin x + A \cos z,\\ B_3(x, y, z) &=& C \sin y + B \cos x, \end{array} $$ où $A$, $B$ et $C$ sont des constantes. On vérifie que $$ \rot \B = \B, \mbox{(et donc $\div \B = 0$)}. $$ C'est donc d'un champ de Beltrami linéaire.

Avec Tahar Amari on a proposé deux grandes familles de champs de Beltrami non linéaires: une famille de champs dit sphériques et une famille de champs dits cylindriques.

Exemple 2 : champs non linéaires sphériques (Boulmezaoud-Amari)
Soit $f: \; \C\rightarrow \C$ une fonction holomorphe et $\chi : \; ]0, +\infty[ \rightarrow \R$ une fonction de classe $C^1$. On note $(r, \theta, \varphi)$ les coordonnées sphériques usuelles et on pose $$ \xi = \ln \tan \frac{\theta}{2} + i \varphi, \; \Psi(x) = \mbox{Re} \left(f(\xi) e^{i \chi(r)} \right) $$

Le champ de vecteurs \begin{equation} \B = \frac{\x}{|\x|} \times \nabla \Psi, \end{equation} est un champ de Beltrami vérifiant $$ \rot \B = - \chi'(|\x|) \B, \; \div \B = 0$$ On peut observer que $$ \x . \B = \zero, $$ ce qui signifie que les lignes de champs de $\B$ sont inscrites sur des sphères de centre l'origine.

Exemple 3: champs non linéaires cylindriques (Boulmezaoud-Amari)
On note $(\rho, \theta, z)$ les coordonnées cylindriques. Soit $\eta$ une fonction de $\R$ dans $\R$ à valeurs positives et vérifiant $0 \leqslant \eta'(t) \leqslant 1$ pour tout $t \in \R$. Alors, le champ $$ \B = A e^{-\eta(\ln \rho)} \left( \sqrt{\eta'(\ln \rho)} \e_{\theta} \pm \sqrt{1 - \eta'(\ln(\rho))} \e_z \right), $$ est de Beltrami. En effet, $$ \rot \B = \pm \frac{1}{\rho} \frac{2 \eta'(\ln \rho) + \eta''(\ln \rho) - 2 \eta'(\ln \rho)^2}{2 \sqrt{\eta'(\ln \rho)} \sqrt{1-\eta'(\ln \rho)}} \B. $$ Les lignes de champs de $\B$ sont dans ce cas inscrites sur les cylindres $\rho = \mbox{constant}$.

Champs de Beltrami linéaires: problème aux limitess

Revenons maintenant sur le problème général (1)-(2) qu'on doit compléter avec des conditions aux limites. Il est habituel d'imposer une condition aux limites sur la composante normale de $\B$: $$ \B.\n = g \mbox{ sur } \partial \Omega. $$ L'égalité $\div \B=0$ implique que $g$ doit vérifier la condition de compatibilité $$ \int_{\partial \Omega} g d\sigma = 0. \; \; \; \; \; \; \; \; \; \; (4) $$
Quand le domaine géométrique $\Omega$ est simplement connexe on peut considérer le problème suivant: étant donnée une constante réelle $\lambda$, trouver un champ $\B$ de $\Omega$ dans $\R^3$ tel que $$ \left\{ \begin{array}{rcll} \rot \B &=& \lambda \B \;& \mbox{ dans } \om , \\ \div \B &=& 0\; &\mbox{ dans } \om , \\ \B . \n &=& g\; &\mbox{ sur } \partial \om, \\ \end{array} \right.\; \; \; \; \; \; \; \; \; \; ({\mathscr L}). $$ où $g$ est une fonction donnée sur le bord vérifiant (4).
On note qu'on écrit la condition $\div \B = 0$ pour des raisons de lisibilité: quand $\lambda \ne 0$, cette égalité résulte directement de l'identité $\rot \B = \lambda \B$
(ça ne sera évidemment pas le cas pour le problème non-linéaire à $\lambda$ variable).



Avec Tahar Amari et Yvon Maday, on montre dans la publication

T. Z. Boulmezaoud, T. Amari and Y. Maday, On the linear force-free fields in bounded and unbounded three-dimensional domains, ESAIM: Mathematical Modelling and Numerical Analysis, Vol. 33, N. 2 (1999) pp. 359 - 393

le résultat suivant:

Théorème (Boulmezaoud-Amari-Maday):
Supposons que l'ouvert $\Omega$ est borné, régulier et simplement connexe. Il existe une ensemble dénombrable de réels non nuls $\Lambda=\{\lambda_n \; |\; n \in \N\}$ telle que la suite $(\lambda_i^{-1})$ tend vers $0$ et telle que pour tout réel $\lambda \not \in \Lambda$ et toute fonction $g \in H^{1/2}(\partial \Omega)$ vérifiant (4) le problème linéaire ({\mathscr L}). admet une et une seule solution. (pour $\lambda \in \Lambda$, la donnée $g$ soit satisfaire certaines conditions de compatibilité afin d'assurer l'existence d'une solution. Dans cas, la solution est unique modulo un espace de dimension finie).

D'autres problèmes linéaires sont étudiés dans la même publication, notamment
  • Le cas d'un domaine $\Omega$ multiplement connexe (en complétant avec des conditions sur le flux à des coupures rendant $\Omega$ simplement connexes).

  • Cas d'une condition sur l'hélicité et non sur $\lambda$.

  • Cas de l'extérieur d'une sphère (où on utilise les harmoniques sphériques)

  • Cas d'un domaine cylindrique

Champs de Beltrami non linéaires (problème aux limites)

Quand $\lambda$ n'est pas constant, il devient une fonction inconnue du problème (et ne peut être prescrit sans sur-déterminer le problème). On doit donc imposer des conditions aux limites sur $\lambda$ également.
Afin de justifier le choix de la condition aux limites, on peut appliquer l'opérateur divergence à l'égalité (1) et obtenir $$ \B.\nabla \lambda = 0. $$ Cette identité signifie que $\lambda$ est constant le long des lignes de champ de $\B$. Il est donc naturel d'imposer une condition aux limites sur la partie du bord où les lignes de champ de $\B$ sont entrantes: $$ \lambda=\alpha_0 \mbox{ sur } \Sigma^-, \;\;\;\;\;\;\;\;\;\;\;\;(5) $$ où $\Sigma^- = \{ \x \in \partial \Omega \;|\; (\B.\n) (\x) < 0\}$.

On est amené à étudier le problèmes aux limites suivant:

Trouver la paire $(\lambda, \B)$ définie sur $\Omega$ vérifiant $$ \left\{ \begin{array}{rcll} \rot \B &=& \lambda(\x) \B \;& \mbox{ dans } \om , \\ \div \B &=& 0\; &\mbox{ dans } \om , \\ \B . \n &=& g\; &\mbox{ sur } \partial \om, \\ \rot \B .\n &=& \alpha_0 g\; &\mbox{ sur } \Sigma^-=\{\x \in\partial\om;\;\; g(\x)<0\}, \end{array} \right.\;\;\;\;\;\;({\mathscr N}) $$ où $\alpha_0$ et $g$ sont deux fonctions données sur le bord.

Dans la publication

T. Z. Boulmezaoud and T. Amari, On the existence of non-linear force-free fields in three-dimensional domains, Zeitschrift für angewandte Mathematik und Physik ZAMP, vol. 51, 6, (2000) pp. 942–967

on montre le résultat suivant (pratiquement le seul résultat disponible sur l'existence de champs de Beltrami non linéaires):

Théorème (Boulmezaoud-Amari):
Supposons que l'ouvert $\Omega$ est borné, régulier, simplement connexe de frontière connexe et soit $\alpha_0 \in L^\infty(\Sigma^-)$ et $g \in H^{1/2}(\partial \Omega)$ vérifiant (4).
Si $\alpha_0$ est suffisamment petit alors le système non linéaire $({\mathscr N})$ admet une solution $(\lambda, \B) \in L^\infty(\om) \times H^1(\om)^3$ (de plus cette solution vérifie des estimations explicites notamment concernant la norme $L^2$ de $\B$).

Calcul des champs de Beltrami non linéaires

Dans plusieurs applications, et notamment en physique solaire il est important de pouvoir calculer les champs de Beltrami à partir des données sur le bord.

Les considérations ci-dessus nous ont conduit à l'algorithme suivant
  • Pour $n=0$, $\B^{(0)} = \B_0$, où $\B_0 $ est le champ potentiel associé à la composante normale $g$: $\B_0 =\nabla \phi_0$ avec $\phi_0$ solution du problème de Neumann: $$ \Delta \phi_0 = 0 \mbox{ dans } \om, \; \frac{\partial \phi_0}{\partial n} = g \mbox{ sur } \partial \om.$$
  • Pour $n\geqslant 0$, on définit en tout point $\x \in \om$ la ligne de champ $\X^{(n)}(t, \x)$ passant par $\x$ de la manière suivante $$ \left\{ \begin{array}{rcl} \dps{ \frac{d \X^{(n)}}{d t }(t, \x)} &=& - \B^{(n)}(\X^{(n)}(t, \x)), \\ \X^{(n)}(0, \x) &=& \x. \end{array} \right. $$ On note $\tau^{(n)}(\x)$ le temps de sortie de $\x$ défini par: $\tau^{(n)}(\x)$ est le temps maximum d'existence de $\X^{(n)}(t, \x)$ dans $\bar \om$. Si $\tau^{(n)}(\x) < +\infty$, on pose alors $\s^{(n)}(\x) = \X^{(n)}(\tau^{(n)}(\x), \x) \in \partial \om$; $\s^{(n)}(\x)$ est le point d'intersection avec le bord de la ligne de champ passant par $\x$.
    On définit la fonction $\lambda^{(n)}(.)$ par: $$ \lambda^{(n)}(\x) = \left\{ \begin{array}{ll} \alpha_0(\s^{(n)}(\x)) &\mbox{ si } \tau^{(n)}(\x) < +\infty, \\ 0 & \mbox{sinon.} \end{array} \right. $$ et cela pour tout $\x \in \om$. En d'autres termes $\lambda^{(n)}$ est solution du problème aux limites (hyperbolique); $$\label{hyperb_iter_sol} \div(\lambda^{(n)} \B^{(n)}) = 0 \mbox{ dans } \om, \;\;\; \lambda^{(n)} = \alpha_0 \mbox{ sur } \Sigma^-. $$
  • Pour $ n\geqslant 0$, $\B^{(n+1)} = \b^{(n+1)} + \B_0$, où $\b^{(n+1)}$ est solution au problème de potentiel vecteur ou rod-div suivant: $$\label{itera_b_sol} \rot \b^{(n+1)} = \j^{(n)} \mbox{ dans } \om, , \;\; \div \b^{(n+1)} = 0 \mbox{ dans } \om, \b^{(n+1)} . \n = 0 \mbox{ sur } \partial \om, $$ où $\j^{(n)} = \lambda^{(n)} \B^{(n)}$.
Il s'agit d'un algorithme itératif qui, sous réserve de convergence, permet d'approcher la solution du problème nonlinéaire par les solutions d'une suite de problèmes linéaires.
Néanmoins, on ne précise pas ici comme résoudre numériquement à chaque itération le problème hyperbolique en $\lambda$ ni comment résoudre le problème rot-div.
Avec Tahar Amari, on a proposé plusieurs méthodes dont celles utilisant des éléments finis (avec formulations directe et mixte pour le problème rot-div) exposées dans l'article suivant:

T. Amari, C. Boulbe and T. Z. Boulmezaoud, Computing Beltrami Fields, SIAM Journal on Scientific Computing, 2009 ; 31(5) : 3217-3254.


On a aussi écrit des codes de calcul 3D, dont le code EXTRAPOL.

Les applications en astrophysique de ces champs sont abordés dans la rubrique Astrophysique (ou physique solaire).